Interview sur le pouce

Par Emmanuelle Blanchet

Comment est née l’idée d’Exprimante ? Qu’est-ce qui vous a poussé à choisir le domaine de la gastronomie, alors qu’avec votre parcours – photographe, historien de la photo, informaticien, vous auriez pu choisir quantité d’autres domaines ?

Jérôme Manin : Exprimante arrive comme une évidence dans ma vie professionnelle, c’est la synthèse entre l’image, l’informatique et moi, maintenant. Je vis une continuité professionnelle…

Je vais essayer d’expliquer :

Photographe, je m’étais spécialisé dans une niche qui n’existe plus. J’ai terminé la partie « histoire de la photo ancienne » en 2015 en me séparant de ma collection, ayant rempli mon rôle de passeur.
Le rapport de la photo ancienne à la cuisine pourrait faire l’objet d’une thèse passionnante, je ne connais pas de passionnés d’histoire de la photo qui ne soient d’invétérés gourmands. Quand aux images sur des aliments où à base d’albumine (90% des images du XIXème siècle), c’est juste le temps et la science qui s’amusent !

Informaticien, j’ai été atteint après une quinzaine d’années de service par le principe de Peter qui fait que l’on a tendance à s'élever à son niveau d'incompétence maximum. Mais la modélisation (la partie informatique qui permet de concevoir la pièce qui va être imprimée en 3D) me permet de synthétiser mes connaissances informatiques et de ne plus être développeur mais créateur.

Et puis la gastronomie parce que le goût des bonnes choses s’apprend tôt mais vient seulement en vieillissant.

J’arrête la philosophie de comptoir car elle peut donner envie de boire mais n’ouvre pas l’appétit

Quelles sont les difficultés que vous avez rencontrées dans la mise au point de vos produits et comment les avez-vous résolu ?

JM : Je n’ai rien inventé, le plus complexe est toujours passer de l’idée au concret, il faut formuler, analyser, construire et douter.

Les points les plus difficiles ont été la validation techniques des idées : est-ce que c’est faisable ? Est-ce pertinent ? Est-ce que l’ensemble est cohérent ?

En pratique, ce sont des questions aux professionnels et de la documentation y compris sur internet, puis des essais et encore des essais. La plupart a débouché sur des bidules improbables, des machins inutiles, des trucs idiots et bien évidemment au milieu de tout ça des perles ! C’est enthousiasmant.

Pour ces essais, j’ai utilisé plusieurs types d’imprimante 3D, une faite maison, une rep-rap commerciale, une professionnelle industrielle et ai même sous-traité certaines impressions. J’ai utilisé des objets comme une machine à raviolis ou une presse de relieur, un appareil pour faire les empreintes dentaires venu de Pologne, (il est à vendre) une couveuse (elle est à vendre, aussi)... Pour les matériaux, je me suis lâché : outre les filaments (consommable des imprimantes 3D) venus des 4 coins du monde, j’ai écumé les épiceries et les fournisseurs (j’ai collecté de bonnes adresses), les magasins de bricolage et de loisirs créatifs et même des pharmacies où tu montres ta carte d’identité à un pharmacien qui te regarde en coin, ne comprend rien à tes explications et se demandant comment tu vas fabriquer une bombe avec ça.

Le sentiment a posteriori est qu’il fallait bien tout ça… Pour arriver à quelque chose de simple et efficace.

Pourquoi vous orienter vers une cible professionnelle ?

JM : C’est vraiment un choix, une diffusion grand public nécessite une grosse organisation et une émulation startup à tous niveaux, et au final pas de contact autre que commercial avec mes clients.
 Je ne me sens pas d’essayer de satisfaire quelqu’un dont je n’ai pas compris le besoin et l’envie. Après, il y a peut-être quelque chose d’immature dans la peur de fabriquer, par exemple, un emporte-pièce qui va servir à rater un gâteau d’anniversaire fait avec une pâte toute prête dans un four micro-onde !

Mon projet et mon parcours aujourd’hui, c’est une relation artistique et artisanale avec des professionnels, une volonté d’excellence !
 Voyez, après l’immaturité, la prétention !
Plus sérieusement, le projet est la création d’outils de design culinaire sur mesure pour les pros, tout est dit.
Et puis mes amis savent que je résiste à tout sauf à la tentation d’un beau projet !

Qu’est ce vous pouvez apporter de plus par vos produits à des professionnels qui ont déjà une bonne pratique du design culinaire ?

JM : Je m’adresse justement aux professionnels qui ont déjà une bonne pratique du design culinaire parce qu’aujourd’hui un outil de design culinaire sur mesure tel qu’Exprimante en propose est difficilement accessible aux professionnels pour des raison de temps d’élaboration, de coûts et de disponibilité sur le marché.

J’insiste « c’est vous les chefs » et « Exprimante, au service de votre talent » parce que l’idée d’aider les bons à aller un peu plus loin est un vrai défi. On m’a qualifié d’accompagnateur de talents, j’adore, j’en suis très fier.

Quelles sont les différences entre vos produits et une imprimante 3D qui imprime directement du chocolat ou tout autre ingrédient ?

JM : Une réponse très technique, ce type d’imprimante pour l’instant encore non combinée à une solide installation robotique ne peut imprimer - exprimer en langage Manin - que des matériaux homogène, (même s’il y a des tentatives avec plusieurs seringues qui alternent)
Ce qui fait un « plat » c’est plus qu’une combinaison d’ingrédients agencés, c’est aussi un avant et un après mise en forme.

Pour le cas particulier du chocolat, il y a des lyonnais qui ont mis au point une machine qui exprime directement du chocolat, c’est d’avant garde et cela fonctionne très bien parce qu’il y a à la manœuvre une chocolatière (on dit comme ça ?) professionnelle, c’est un vrai métier complexe et fin !

Mon propos est différent, il s’agit dans une chaîne de fabrication classique d’offrir des outils aux chocolatiers, puisque j’ai pris cet exemple, et non de me substituer à eux avec une machine.

Pour les autres ingrédients faut-il envisager derrière chaque machine un spécialiste ? Pour la purée, il faudrait un puréiste ou un patatekiller, pour les pâtes, un pâsteur ou une pâtogaze ?
12 personnes et 11 machines pour faire une pizza, c’est une idée à creuser.
Je me moque mais la machine qui fait tout et bien, n’est pas encore au point, ce qui ne m’empêche pas de l’attendre.

Et puis, on y pense peu mais cette automatisation existe dans l’industrie alimentaire et la production en très grande quantité à déjà répondu à la question.

Au fait vous prendrez l’aile ou la cuisse ?

Comment voyez-vous le développement d’Exprimante ?

JM : Le piment de la vie quand on fait 50 scenarios, c’est que les choses se passent d’une 51ème manière, la réponse est donc je ne sais pas… avec évidemment quelques rêves !

La première étape est de consolider l’existant, de le rendre viable sur le long terme, et voir quelle place tenir dans un marché qui va voir naître des concurrents, des personnes qui vont faire les choses elles-mêmes ou des sociétés qui vont se doter en interne d’outils et de services compétents.
L’idée qui tient le vent reste la possibilité de développer une marque blanche.

Envisagez-vous de vous diversifier ?

JM : De me disperser ?
Dans un premier temps, il faut, je vous l’ai dit consolider l’existant et aller plus avant dans certaines offres comme les moules en silicones. Et puis il y a encore quelques idées dans les tuyaux sur le même thème.
Je suis convaincu que les retours et la collaboration avec les professionnels va engendrer de nouvelles demandes, des choses que nous n’avons même pas encore imaginé… Le plus pertinent est d’être prêt pour ce qui va arriver.

Trois questions, pour finir
 : vos produit sont ils certifiés pour le contact alimentaire ?
 Où peut-on trouver vos produits et à quel prix ?

JM : Les machines utilisées sont toutes conformes aux normes françaises. Pour les matériaux, à chaque niveau il existe un règlement cadre relatif à la réglementation des matériaux au contact des denrées alimentaires, et des normes spécifiques pour les matières plastiques (respectivement CE n°1935/2004, CE n°10/2011 et même CE n°282/2008 pour les plastiques recyclés) Exprimante n’utilise que des matériaux répondant aux normes.

Le sur mesure que l’on trouve partout s’appelle du prêt-à-porter. Nous privilégions la collaboration, aussi vous nous appelez ou nous laissez un message, nous convenons d’un RDV et on avance.

J’ai l’habitude, à la question du prix, de répondre : « A la tête du client, avez-vous une bonne tête ? » Les différents produits combinés aux différents besoins spécifiques ne permettent pas d’établir une grille tarifaire ou même un catalogue avec des prix. Je parie sur le fait qu’une transaction réussie, ce sont deux protagonistes contents.